Communautés indigènes et mine, en conflit ?

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Murs en adobe et volcan tutélaire Licancabur, deux caractéristiques des communautés autochtones

 

Nous sommes passées par le nord du Chili, à San Pedro de Atacama, une oasis au milieu du désert le plus aride du monde. Dans la ville il pleut en moyenne 40mm par an, mais non loin existent des lieux où aucune goutte de pluie n’est tombée depuis une dizaine d’années. Les flux d’eau souterraine et les rivières, provenant des glaciers et sommets de haute altitude sont donc l’unique source d’eau du territoire. Le milieu dépend donc de cette source d’eau et est donc particulièrement fragile à toute modification.

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San Pedro de Atacama, une oasis alimentée par deux rivières aux milieux de paysages montagneux arides. Le sel, érodé des montagnes se dépose dans les vallées.

 

Dans cet article, nous souhaitons aborder les relations entre l’exploitation minière et les communautés indigènes : une situation infiniment complexe. N’hésitez pas à compléter ou corriger en commentaire !

Aujourd’hui les conflits entre compagnies minières et communautés sont multiples. Certaines communautés n’ont plus d’accès à l’eau (lien article) ou celle-ci est contaminée et provoque des maladies chez les populations.

Nous avons interrogé Leonardo Cespedes, géographe et consultant indépendant en planification du territoire, sur cette thématique. Ci-dessous un extrait de l’entretien :

AguaLatina : Selon vous quelle est la priorité pour améliorer la gestion de l’eau au Chili ?

L. Cespedes : Ce qui se passe aujourd’hui c’est qu’il y a une pression sociale très grande sur l’eau. Il faudrait déclarer que l’eau est une ressource rare et un bien commun de l’ensemble des chiliens. L’eau doit être en priorité destinée à la consommation humaine et non à générer de l’argent. En effet, le mètre cube d’eau le plus rentable est celui investi dans la mine, loin devant l’agriculture ou la consommation humaine.

AguaLatina : Peut-on dire qu’aujourd’hui il y a plus de conflits au sujet de l’eau entre compagnies minières et communautés ?

L. Cespedes : En réalité avant il n’y avait pas de problème car les communautés indigènes n’existaient pas, dans le sens où elles n’étaient pas reconnues par l’Etat et n’avaient aucun poids politique ni aucun droit. A partir des années 2000-2005 il y a un véritable réveil des communautés et une reconnaissance de l’Etat. Aujourd’hui, 2 à 3 millions de chiliens sur 17 millions se reconnaissant indigènes et 85% de la population est métisse. Ce poids considérable a mené aux actuels conflits avec la mine. Auparavant les compagnies minières pouvaient faire ce qu’elles voulaient : dans la région d’Antofagasta par exemple, l’impact de l’activité non contrôlée des mines a eu de graves conséquences sur l’environnement et les populations (contamination des eaux, maladies…).

Selon la Constitution chilienne, n’importe quelle personne peut aller à la justice se plaindre d’une activité pour laquelle elle se sent affectée. La justice doit alors immédiatement stopper le projet et enquêter. A partir de 2005 commencent donc ces mises en justice initiées par les communautés, mais aussi des activistes environnementaux ou organisations sociales. Aujourd’hui 60% des projets d’investissement miniers sont bloqués par la justice grâce à cette mobilisation, en vue de rendre ces projets plus respectueux d’un point de vue environnemental et acceptables d’un point de vue social.

L’objectif est que les entreprises privées travaillent en lien avec les communautés, en amont de leurs projets, selon la devise « Faisons les choses bien, soyons de bons voisins ».

Il est important de noter que les communautés indigènes et les compagnies minières sont des entités privées, les conflits se règlent entre ces deux acteurs sans intervention de l’Etat sauf en cas de recours à la justice.

En ce moment, Leonardo mène une étude pour la communauté indigène de Talabre avec une équipe de professionnels. L’an prochain, la compagnie minière de la Mina Escondida doit faire renouveler son autorisation pour prélever l’eau (débit de 1400 L/s). Pour cela de nouvelles études doivent être menées afin de montrer que l’exploitation n’a pas de conséquences environnementales et il est obligatoire de consulter les communautés qui pourraient être affectées (en réponse aux Objectifs du Millénaire[1]). La communauté a désigné des experts pour évaluer l’impact de la mine sur la communauté. Interviennent un géologue, un hydrogéologue, un avocat, un géographe, deux anthropologues et un agronome qui sont payés par la compagnie minière.

Le jour de l’interview nous avons assisté à un atelier de la démarche mise en place depuis décembre 2016 entre la communauté et les experts. Il s’agissait d’un atelier de cartographie participative où étaient conviés tous les membres de la communauté de Talabre. L’objectif était double : définir l’appropriation du territoire par la communauté et la valeur de territoire donnée par la communauté pour mieux comprendre les impacts de la mine pour les populations. Pour cela ont été étudiés par petits groupes : les usages du territoire (activités, agriculture, vente), les mouvements sur le territoire (achats, famille, fêtes…) et les services (poste, santé, écoles). Pour chaque thématique une carte schématique a été réalisée à partir d’un fond de carte puis les cartes sont superposées pour répondre à la problématique initiale. Ces cartes seront retravaillées ensuite par ordinateur sur un logiciel de SIG pour placer précisément les données et pouvoir les exploiter.

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La communauté de Talabre gère son propre système d’eau potable et possède une micro-turbine pour générer son énergie

 

Rédigé le 25/04 par Coralie, relu par Marthe

[i] La Déclaration du Millénaire, signée par 147 chefs d’État et de gouvernement, a permis de porter une attention renouvelée aux peuples autochtones dans le débat international sur le développement. Lors de sa quatrième session, qui a eu lieu du 16 au 27 mai 2005, l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones (UNPFII) a déclaré : « Les peuples autochtones ont le droit de profiter, au même titre que les autres peuples, de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement et des autres objectifs et aspirations contenus dans la Déclaration du Millénaire. Dans la majorité des pays, voire dans tous les pays, où ils vivent, les peuples autochtones tribaux ont pris du retard dans la réalisation des Objectifs par rapport aux autres tranches de la population, et les femmes autochtones tribales sont fréquemment confrontées à des désavantages ainsi qu’à la discrimination fondée sur le sexe1. » https://unchronicle.un.org/fr/article/les-peuples-autochtones-et-les-omd-des-solutions-globales-qui-tiennent-compte-des-sp-cificit

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